LE PETIT SEMINAIRE DE LACHAPELLE
La Révolution de 1789 avait cruellement décimé le clergé, principalement dans la partie française du diocèse. Un grand nombre de paroissiens se trouvaient sans curés, lors du rétablissement du culte en 1801. Pour remédier à cette situation et favoriser les vocations ecclésiastiques, l’Evêché avait fondé à Strasbourg un Petit-Séminaire. Mais celui-ci, placé à l’extrémité du diocèse et dans la partie allemande, était peu accessible aux jeunes gens de la partie française et leur offrait peu d’attraits. Les collèges du département, alors en petit nombre, ne pouvaient pas non plus les attirer, vu le mauvais esprit qui y régnait. Ceux qui aspiraient à l’état ecclésiastique, se bornaient à faire, chez leur propre curé ou ailleurs, quelques années de latin et allaient se présenter au Grand-Séminaire pour la théologie. Mais ces études étaient trop imparfaites et les aspirants en trop petit nombre pour les besoins du diocèse. Pour remédier à ce double mal, M. LIENHARD, alors supérieur du Grand-Séminaire, résolut de fonder dans la partie française du diocèse un Petit-Séminaire, à l’instar de celui de Strasbourg. Il invita le curé de Delle à trouver dans l’arrondissement de Belfort un local convenable et, au printemps de 1818, se rendit chez lui pour faire son choix. Pour le fixer à Delle, il y avait des sacrifices d’argent à faire et il y avait peu de revenus dans la commune. Malgré les efforts de leur curé, les habitants s’y refusèrent. Ils en eurent ensuite de vifs regrets.
De là, M. LIENHARD se rendit à Réchésy et à Froidefontaine et refusa les bâtiments publli.cs qu’on lui offrait. Il résolut d’aller voir à Dannemarie un grand bâtiment construit en 1814, pour servir de caserne aux troupes étrangères, qui avaient envahi la France, mais il en attendait peu et commençait à désespérer du succès, lorsque M. GIRARD, curé de Grosne, originaire de Petitefontaine qui se trouvait alors à Delle, envoya secrètement un express à M. NOBLAT, alors marchand-épicier à Lachapelle, pour l’engager à proposer l’entreprise à ses concitoyens et à se rendre le lendemain- à Dannemarie où il trouverait M. LIENHARD.
M. NOBLAT qui aimait à s’occuper des affaires publiques, se hâta de proposer cette affaire aux principaux habitants du lieu, et sur leur réponse favorable, partit à Dannemarie où il décida M LIENHARD à venir faire lui même ses propositions aux Chapelons. Arrivé ici, il ne trouva pas de bâtiments disponibles ; mais il trouva mieux que cela : une société de chefs de famille qui se formait spontanément et qui s’offrait à faire tous les sacrifices nécessaires pour une oeuvre pareille. Enchanté de ces heureuses dispositions, M. LIENHARD leur promit de s’associer à eux pour les frais de construction, et séance tenante, les conditions principales de la société furent posées. C’ était :
1° Que les sociétaires construiraient à leurs propres frais un bâtiment suffisant pour une centaine d’élèves, selon le plan qui serait fait par un architecte.
2° Que l’Evêché en aurait la pleine et libre jouissance aussi longtemps qu’il continuerait à y faire donner l’enseignement.
3° Que tous les fils et petits-fils de sociétaires y seraient admis et inscrits gratuitement.
Puis M. LlEINHARD reprit la route et donna ses instructions à l’architecte d’Altkirch, M. WAGNER, pour le plan du bâtiment.
Les sociétaires commencèrent par chercher un emplacement convenable. Ils pensèrent d’abord au grand verger RAINDRE, touchant à l’ancienne église et s’étendant jusqu’à la vie ou vieille route de Masevaux. Le prix parut trop élevé ; On y renonça et l‘on traita avec M. JEANTET, Maltre de Poste, qui céda au prix de 4 000,00 Francs un pré de 45 ares sur lequel se trouve aujourd’hui le garage.
On se mit alors de suite au travail et à l’automne de la même année, les fondations de l’édifice furent faites et la première pierre en fut posée par le duc d’Angoulême qui passait à Lachapelle en visitant l’Alsace en Novembre 1818. Au printemps suivant, les travaux furent poussés avec tant d’activité et d’ensemble qu’à la Toussaint : 1819 le pensionnat y fit son entrée, et l’enseignement, déjà commencé en novembre 1818, s’y continua.
A cette époque, de 1818, le supérieur du Grand-Séminaire avait envoyé à Lachapelle des professeurs pour y commencer les classes avec un pensionnat qui se composa bien vite de seize élèves.
Trente externes se présentèrent en même, temps et les classes s’ouvrirent dans l’ancien presbytère. Les internes y étaient logés avec M. BIRGY, directeur, et toutes les classes, jusqu’aux humanités inclusivement s’y enseignaient. Chaque professeur en réunissait deux.
A Pâques, le nombre des internes se monta à 50, ce qui obligea à transférer la cuisine et une partie des classes dans la maison neuve et encore inhabitée de M. NOBLAT et de faire un 2ème dortoir dans le petit bâtiment qui ferme la cour de la cure au sud. Quatre nouveaux professeurs arrivèrent à Pâques. Mais toute l’année s’écoula en négociations avec deux vénérables ecclésiastiques, qui, l’un après l’autre, refusèrent de prendre la place de Supérieur.
Pour commencer la 2ème année vint enfin M. PIMBEL qui fut en même temps Supérieur, professeur de philosophie et curé de Lachapelle jusqu’à la fin de l’année scolaire 1822 où il fut appelé à Strasbourg comme Supérieur du Grand-séminaire. Sous sa direction, l’établissement fit quelques progrès. Cependant la discipline souffrait des fonctions de curé: il remplissait ces fonctions avec un zèle extraordinaire qui absorbait tout son temps, à part celui qu’il donnait à sa classe. Elle souffrait aussi de l’exiguïté du local, qui ne consistait alors que dans le corps principal du bâtiment actuel, qu’on venait de construire avec ses deux ailes et sa seule cour de récréation.
On peut dire encore que cet établissement subissait le sort de toute institution de cette espèce qui n’a, à sa naissance, pas les fonds nécessaires pour se créer ses propres moyens d’existence et de développement. La pension des internes avec la rétribution scolaire des externes étaient les seules ressources d’alors.
Au mois d’octobre 1822, M. LIENHARD, prêtre et neveu du premier, poussé par quelques membres du Conseil de l’Evêché et contrairement au gré de son oncle, arriva comme successeur de M. PIMBEL. Le nom qu’il portait et plus encore le talent particulier qu’il avait de s’attirer les faveurs des grands, de gagner la confiance des parents et de s’attacher les jeunes gens, lui fit, dès sa première année, une réputation qui se répandit dans toute l’Alsace et lui attira un nombre d’élèves considérable.
Ebloui de ses succès et plein de confiance dans les promesses que lui faisaient les chefs de l’administration civile, (même le Préfet vint visiter l’établissement), il voulu agrandir et mettre le Collège en état de rivaliser avec les premiers collèges de province. Pour cela, il fallut augmenter le nombre des professeurs, créer de nouveaux logements, établir une boulangerie, une infirmerie, une buanderie etc… qui ne pouvaient se placer dans le premier bâtiment déjà trop petit pour ce qui existait. A ces fins, M. LIENHARD acheta pour 10000,00 F de Bernard CRAVE un grand et vieux bâtiment qui lui servait de magasin d’épicerie et l’appropria le mieux qu’il put aux besoins les plus pressants de l’établissement. Mais pour faire face à tant de dépenses, où trouver l’argent nécessaire ? Le Collège ne pouvait rien faire. Les sociétaires, qui avaient déjà dû tripler leur mise en fonds n’étaient pas disposés à continuer. L’Evêché manquait de ressources. Cependant Mgr. THARIN, alors Evêque du diocèse ne voulut pas abandonner l’établissement en si belle voie.
Pour lui créer quelques revenus, ainsi qu’au Petit-Séminaire de Strasbourg qui souffrait aussi, il établit l’Association de st. Arbogast. Cette association fut accueillie avec faveur, mais se soutint peu. Le Sous-Préfet adressa à toutes les communes de l’arrondissement une circulaire pressante pour leur recommander un établissement si utile aux familles de la contrée. Le Préfet fit voter au département 4000,00 F et sollicita du Ministère des Cultes 8000,00 F, mais ces deux demandes furent éludées et les communes donnèrent très peu. Celle de Lachapelle qui savait apprécier les avantages que lui procurait le Collège et qui voulait se montrer reconnaissante envers les sociétaires, leur offrit 10 hectares de terres, presque toutes en pâturage au Nord et au Sud de la commune, sous la réserve qu’ils continueraient leur concours aux travaux qui restaient à faire. Ils les refusèrent d’abord ; cependant, comme ils voulaient à tout prix voir leur oeuvre prospérer, ils consentirent à l’accepter pour en faire don au Collège. A cause des difficultés de régularisation, ce fut finalement M. LIENHARD qui l’accepta comme compensation’ de nouvelles dépenses qui étaient à faire et qui s’engagea formellement à les rétrocéder plus tard au Collège. Mais ces terres qui n’étaient pas en valeur, loin d’aider l’œuvre, ne fit que l’entraver par le surcroît de dépenses qu’il fallut faire pour les mettre en état de culture; force fut donc de recourir aux emprunts.
On s’adressa d’abord à Bâle où l’on trouva 26000,00 F sur la garantie des bâtiments et des terres. Ce fut bien loin de suffire. Cependant, il fallut continuer les entreprises commencées, la nécessité commandait et M. LIENHARD, d’un caractère hardi et souvent trop confiant, se mit à parcourir l’arrondissement, frappa à toutes les portes, recevant de toutes mains et comptant pour les remboursements sur les secours du diocèse, du département et du ministère. Malheureusement, les derniers n’arrivèrent pas et les premiers furent loin de suffire. on invita alors les curés du Haut-Rhin, avec promesse de remboursement, à faire des prêts de 100,00 à 300,00 F, chacun selon ses facultés. Ce moyen fit arriver quelques secours, encore insuffisants. A bout de ressources, les chefs du département (on a dit aussi du diocèse) imaginèrent de recourir aux Jésuites qui venaient de rentrer en France et de les engager à accepter ces établissements pour en faire leur œuvre propre. On ignore si la proposition leur en fut vraiment faite, mais ce qui est certain, c’est qu’à la sous-préfecture, on s’en occupa sérieusement et que l’avis de quelques-uns des sociétaires fut demandé. Si les Jésuites avaient été connus comme ils le sont aujourd’hui, avec empressement cet avis aurait été donné. Il fut refusé par l’effet d’une basse jalousie et le projet fut abandonné. Dans cet état de chose, l’établissement s’organisait péniblement et à grands frais; parce que l’ordre et l’économie manquaient.
Par surcroît de maux, lorsque la maison CRAVE, achetée pour agrandissement, eut absorbé bien de l’argent, le feu la détruisit en Août 1827 à l’heure du souper des élèves et réduisit tout en cendres, sans qu’on put jamais en découvrir la cause. La compagnie d’assurance paya sans difficultés 35000 F que M. LIENHARD employa à construire la chapelle du Collège. Jusque-là, le Collège n’avait eu pour son culte, d’autre local que la vieille église paroissiale, où ils se rendaient tous les jours, faisant leurs offices à part le dimanche.
Cette nouvelle construction ne fit que multiplier les embarras d’argent. Les remboursements ne se faisaient pas, les intérêts ne se payaient pas et les grandes dépenses continuaient.
Tout cela inspira de l’inquiétude aux créanciers qui, d’une voix unanime, demandèrent leurs remboursements. M. LIENHARD voulut composer avec eux, mais il n’avait aucune garantie à leur offrir, puisque les Bâlois avaient hypothéqué le tout. L’Evêché, pour sauver l’établissement et l’honneur du clergé, finit par convoquer les créanciers à Colmar en octobre 1828, ce qui ranima la confiance.
Le 1er septembre 1829, 13 habitants de Lachapelle cèdent au diocèse de Strasbourg l’ensemble immobilier (école secondaire ecclésiastique) moyennant la condition que “les enfants des donateurs qui se détermineraient aux études ecclésiastiques seraient reçus gratuitement, soit dans ladite école de Lachapelle, soit même au séminaire diocésain de Strasbourg”. Parmi ces 13 Chapelons, François GRISEZ (1773-1841).
Il fallut changer M. LIENHARD à qui on aurait voulu laisser le temps de se dégager honorablement et Mgr. de TREVEN, successeur de Mgr. THARIN, se vit forcé de lui demander sa démission. Il s’y refusa et il fallut passer outre. Bon successeur, M. STOECKLE, eut une tâche difficile. Il fallait non seulement relever l’état matériel et financier de l’établissement, mais encore son état moral. La discipline avait beaucoup faibli, un fort mauvais esprit régnait malgré tous. Les efforts des maitres subalternes dont l’autorité n’était pas soutenue. Sous sa direction, la discipline se raffermit, les études se développèrent, l’économie mieux surveillée se reforma ; les terres cultivées avec soin prirent de la valeur et la confiance revint.
Néanmoins, toutes les plaies n’étaient pas fermées. La dette énorme qui s’était faite sous l’administration précédente, restait toute entière à la charge de la maison et pour la couvrir et échapper à la poursuite des créanciers, on mit en vente toutes les terres que le collège possédait à Lachapelle. Ce fut loin de suffire. Il fallut encore faire des emprunts et pendant bien des années, prendre sur les quêtes de carême et sur les économies de la maison. Par tous ces moyens et par les dons personnels que faisait chaque année Mgr. RAESS et les personnes généreuses du diocèse, cette dette finit par s’éteindre et les terres rachetées par l’Evêché restèrent la propriété du Petit-Séminaire.
Les Supérieurs qui ont succédé à M. STOECKLE ont placé le Collège dans des conditions telles qu’il pouvait rivaliser avec les meilleurs d’Alsace. Au lieu de diminuer, le nombre de ses élèves allait croissant et remplissait jusqu’à la “dernière place dont on disposait; si bien, qu’il fallait se décider à agrandir.
Telle était aussi la résolution prise par l’autorité diocésaine, mais des difficultés se présentaient. Le terrain sur lequel on voulait bâtir était grevé d’une servitude que Mgr. RAESS ne parvenait pas à faire disparaître. Les bâtiments qui existaient déjà demandaient de grandes réparations et des dépenses supplémentaires pour les relier convenablement à ceux qu’il s’agissait de construire.
Cela fit naître l’idée d’une translation comme moyen de faire mieux ailleurs qu’à Lachapelle, idée qui finit par prévaloir à l’Evêché, malgré toutes les réclamations des curés de l’arrondissement et des hommes influents. Le lieu choisi entre plusieurs autres pour les nouvelles constructions fut Zillisheim. Ces constructions dirigées par le curé d’alors, M. MEYER, se terminèrent en 1869 et au mois d’Octobre tout le Petit-Séminaire de Lachapelle s’y trouva installé.
Une autre raison fut également à l’origine de la translation : autrefois, le village de Lachapelle, comme relais de poste, avait été facilement accessible aux élèves et aux parents. , Cette situation avait changé avec la construction de la voie ferrée Mulhouse-Belfort en 1857-1858. L’espoir de voir s’installer une ligne ferroviaire Colmar-CernayLachapelle-Belfort était anéanti.
Inutile de dire les peines de cœur qu’en ressentirent les habitants, surtout ceux d’entre eux qui s’étaient imposés spontanément tant de sacrifices pour l’érection du Collège et qui avaient vu pendant 50 ans la jeunesse de toutes contrées environnantes venir y puiser l’instruction et, s’y former à la vertu ! Cependant, tout espoir n’était pas perdu ; les bâtiments restaient et plusieurs congrégations religieuses parlaient de venir s’y établir lorsque le Collège Libre de Colmar s’y fixa en 1871